Mireille Delprat (MD): Didier, pouvez-vous nous dire qui vous êtes, et ce qui a mené vos pas jusqu’en Antarctique?
Didier Schmitt (DS): Je suis un scientifique spécialisé en immunologie, et je suis médecin. Pendant tout un temps, j’ai étudié à Toulouse les effets des voyages dans l’espace sur la physiologie et la biologie humaines. J’ai ainsi effectué des recherches cliniques sur les cosmonautes français réalisant des vols vers la Station Mir. Quatre vols, pour être exact. Quatre vols de navette spatiale américaine sur lesquels j’avais programmé des expériences en biologie, qui ont été réalisées.
Puis je suis entré à l’Agence Spatiale Européenne, comme responsable de programme. Je travaillais sur l’exploration spatiale, toujours en lien avec les sciences de la vie. J’ai contribué à mettre en place le programme d’utilisation de la Station Spatiale Internationale, et à préparer l’exploration martienne robotique, dont la mission ExoMars qui sera lancée en 2020.
J’ai ensuite accepté un détachement à la Commission européenne, où je me suis occupé, en toute logique, de politique spatiale européenne. Au bout de quatre ans j’ai été chargé des questions de science et de technologie en tant que membre du BEPA (Bureau of European Policy Advisors), qui a fait suite à la Cellule de prospective créée par Jacques Delors. Et actuellement, je m’occupe, au sein du Service d’Action Extérieure de l’Union européenne, de la diplomatie économique dans le domaine spatial, mais aussi de l’angle politique de l’exploration spatiale.
MD : En quoi consistent, au juste, ces deux activités?
DS : Pour la diplomatie économique il s’agit d’aider nos entreprises européennes à se développer dans le secteur spatial hors d’Europe et à y prendre des parts de marché, en tentant d’aplanir les difficultés liées à la concurrence entre Etats.
S’agissant de l’exploration, nous préparons une grande Conférence en mars 2018 à Tokyo, où une cinquantaine de pays vont venir échanger sur la politique spatiale. Les agences spatiales ne sont pas politiques, mais l’exploration de l’espace, elle, l’est bel et bien. Mon rôle diplomatique est donc d’essayer de mettre de la cohérence ‘politique’ entre les différents acteurs européens. Le deuxième rendez-vous sera en juin 2018 pour une réunion au niveau des Nations Unies à Vienne sur le même sujet.
MD : Pouvez-vous me décrire une de vos journées-type?
DS : Tous les jours, nous avons une réunion de service, parce que les choses vont assez vite, et qu’il y a du pain sur la planche. Il faut assister à des réunions entre des acteurs très variés: les Etats Membres, les associations d’entreprise, les services de la Commission… Il faut aussi préparer des actions pour les Délégations de l’UE à l’étranger, ou organiser des ateliers de travail avec la Commission, destinés à faire connaître le spatial européen, en Amérique Latine, en Asie, en Afrique de l’Est etc. C’est là où l’UE a clairement une valeur ajoutée, par rapport aux Etats Membres agissant en ordre dispersé.
MD : Une expérience particulièrement marquante à nous partager, dans cet impressionnant parcours?
DS : Il y a des choses qui marquent évidemment, comme d’effectuer des vols paraboliques en apesanteur, en chute libre à 3 kilomètres d’altitude au-dessus de l’Atlantique. Ceci pour me former à devenir astronaute, car j’avais été sélectionné par la NASA, même si, finalement, cela n’a pas abouti. Et puis j’ai plongé en sous-marin biplace à 300 mètres, au large de Marseille. Le noir absolu règne à de telles profondeurs.
MD : De l’espace aux abysses… c’est vertigineux. Mais quel rapport avec l’Antarctique?
DS : Il s’agit, dans tous les cas, des réactions de l’homme placé dans des conditions extrêmes. Entre 2003 et 2005, à l’Agence spatiale européenne, j’avais ajouté l’Antarctique au programme d’exploration planétaire, comme ‘analogue’ aux futures bases martiennes. C’est tout naturellement la Base franco-italienne Concordia qui a été choisie. Et depuis son ouverture en 2005, elle sert de ballon d’essai préparatoire aux missions martiennes: j’y ai ainsi fait installer un prototype de système de recyclage des eaux grises, et fait faire des expériences de biologie, physiologie et psychologie, qui continuent à être financées par l’Agence Spatiale Européenne. Un médecin est d’ailleurs recruté par l’ESA tous les ans pour réaliser ce programme ‘White Mars’ pendant 12 mois d’affilée.
MD : Quel est, selon vous, le plus grand défi concernant l’Antarctique? Et voyez-vous des pistes pour résoudre la question?
DS : Pour moi, le plus grand défi consiste à contenir le tourisme. La partie Ouest du continent, incluant Dumont d’Urville, d’accès très difficile, est encore bien protégée et n’est dédiée qu’à la science. Il n’en va pas de même sur la partie Est, au départ d’Ushuaïa. Avec le changement climatique, l’Antarctique est de plus en plus abordable, sa protection n’est de fait plus assurée: des marathons, l’escalade de montagnes, du sport extrême… tout cela se développe sur un environnement vulnérable. Il faudrait trouver le bon équilibre entre les activités humaines et la protection de l’environnement.
MD : Votre avenir professionnel implique-t-il des liens avec l’Antarctique?
DS : Certainement. Je vais, par exemple, continuer à suivre et à pérenniser le gros travail de programmation satellitaire que nous avons mis en place, afin de recevoir de l’imagerie radar à bord du navire qui assure la liaison avec Dumont-d’Urville, avec l’EMSA (European Maritime Safety Agency), pour trouver le meilleur passage à travers les glaces. Je vais organiser des réunions entre le CNES, l’agence spatiale française, et l’Institut Paul Emile Victor (IPEV) sur la problématique du recyclage, et aussi voir dans quelle mesure l’Union européenne pourrait financer de tels projets de recherche et de développement.
Vous pouvez lire comment Didier a participé à un raid de ravitaillement à la base française-italienne Concordia ici.