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Une stalactite létale : explications… ou hypothèses ?

CES PHÉNOMÈNES INSOLITES (2/5). Oursins, étoiles de mer… Aucun organisme ne survit au passage du « doigt glacé de la mort »

Foudre volcanique, globulaire, brinicle, eau en feu… Cet été, dans une série de cinq épisodes, Le Point vous invite à (re)découvrir des phénomènes naturels étonnants. Certains mystères sont élucidés ; d’autres… pas encore. Tour d’horizon des propositions d’explication.

Un spectacle difficilement observable

Il est des phénomènes physico-chimiques très peu fréquents, donc difficilement observables et a fortiori rarement immortalisables. Celui-ci ne déroge pas à la règle. Connu depuis les années 1960, il ne fut filmé pour la première fois qu’en 2011, par la BBC.

Et non sans mal : Hugh Miller et Doug Anderson, les deux photographes de la série Frozen Planet de la chaîne nature anglaise, ont dû installer une plateforme de plusieurs caméras résistant aux très basses températures là où ces tornades glacées s’étaient déjà produites – sous la surface de l’océan Austral, près de l’île volcanique de Ross. Puis ils ont capté pendant cinq heures, en time-lapse, la descente mortifère de cette colonne d’eau salée. Et le résultat, une vidéo de deux minutes, est… glaçant !

Le brinicle – nom donné par les scientifiques, issu de la contraction des mots anglais brine (« saumure »), et icicle (« stalactite ») – ne « sévit » que dans les endroits les plus froids de la Terre, et nécessairement sous de la glace marine, par exemple la banquise océanique, en Arctique et en Antarctique. Le contexte favorable à son apparition ? Une calotte glaciaire – d’une température extrême d’environ – 20 °C – et bien évidemment de l’eau salée ( à – 1 °C) sous cette couche glacée.

De fait, si l’eau « douce » gèle à 0 °C, celle contenant du sel ne le fait qu’à des températures bien moindres : à titre d’exemple, si elle comporte 10 % de sel, l’eau gèle à – 7 °C, le record étant obtenu pour de l’eau qui en est pourvue à raison de 23 % et qui cristallise à… – 21 °C. Dans les océans polaires, lorsque l’eau de mer gèle, elle rejette de la saumure en grande quantité. L’eau glacée expulsée est donc extrêmement salée, et par conséquent beaucoup plus dense que l’eau océanique qui l’entoure.

Une hécatombe inévitable

S’ensuit alors sa descente inexorable vers le fond marin. Ce faisant, la colonne d’eau salée, avec un point de congélation bien plus bas que l’eau environnante car plus concentrée en saumure, se pourvoit d’une gaine glacée. Elle devient une cheminée givrée véhiculant un courant d’eau gelée et très salée depuis la calotte glaciaire jusqu’au plancher océanique. Si tout se déroule « normalement », toutefois. En effet, les parois de la stalactite naissante sont extrêmement fragiles ; ce n’est qu’au cours de sa descente qu’elles sont consolidées, grâce au mini-courant de saumure froide.

Qui plus est, le brinicle peut se briser sous l’effet de son propre poids avant d’atteindre son objectif, le fond marin, ou s’il devient trop long car le plancher océanique est très profondément établi. Quoi qu’il en soit, avant d’y parvenir, cette stalactite délétère a entrepris son hécatombe. En effet, contrairement à une idée reçue, la vie pullule dans ces eaux froides, paradoxalement protégée par l’effet isolant de la glace au-dessus. Pas au point, cependant, de pouvoir résister aux températures extrêmes infligées par le passage du « doigt glacé de la mort » – surnom qui lui va décidément comme un gant…

Si, par malchance pour la faune et la flore locales, la stalactite glaciale arrive intacte sur le plancher océanique, la saumure gelée s’y déverse et rien ne lui résiste : algues, mais aussi petits animaux pas assez rapides pour fuir – tels les oursins et les étoiles de mer – sont figés et succombent. On ne peut que se consoler en se rappelant que le « doigt glacé de la mort », phénomène physico-chimique au demeurant incroyable, n’intervient que rarement.

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