Découverte scientifique en Antarctique : de la glace d’il y a 1,2 million d’années écrira l’histoire de notre climat
C’est le Graal, ou la carotte, au sens propre comme au figuré, pour cette équipe internationale de scientifiques dont fait partie le Laboratoire de Glaciologie de l’Université libre de Bruxelles : elle a réussi à atteindre des couches de glace inédites à la profondeur de 2800 mètres sous le manteau blanc de l’Antarctique, sur le site éloigné baptisé Little Dome C. Une carotte… de glace – c’est comme ça qu’on appelle cela – qui descend jusqu’à l’endroit où la calotte – cette fois, à ne pas confondre – glaciaire antarctique rencontre la roche. Et pourquoi est-ce bingo ? Parce que la glace aussi ancienne préservée nous en dit long, très long, sur l’histoire du climat de la Terre.
Un moment historique
L’équipe parle d’un “moment historique pour les sciences du climat et de l’environnement” car à partir de cet énorme carottage de glace, on peut lire l’enregistrement en continu de nos températures atmosphériques, la teneur de notre atmosphère en différents gaz dont les gaz à effets de serre au fil de l’histoire du globe terrestre, et depuis 1,2 million d’années ! Il faut s’imaginer que dans ces énormes forages de glace, un seul mètre comprime à lui seul 13.000 ans d’histoire climatique.
Pour y parvenir, les équipes ont travaillé pendant plus de 200 jours. Au menu, forages et traitement de carottes de glace, dans cet environnement très dur et très froid du plateau de l’Antarctique central. Altitude : 3200 mètres. Température : – 35° C.
Lisa Ardoin est doctorante en glaciologie à l’Université libre de Bruxelles. Nous l’avons contactée sur le site de recherche, en Antarctique : “C’est le lieu de forage qui a été extrêmement bien déterminé en amont par les équipes de scientifiques qui ont décidé où allait avoir lieu ce forage. Le site a été choisi pour la préservation de la couche de glace de plus de 1 million d’années. Le problème, c’est que tant qu’on n’a pas récupéré cette glace-là, on ne peut pas vérifier cette information. Et donc là, ce qui est assez exceptionnel, c’est que suite à quatre ans de forage et 4 saisons de terrain, on a enfin atteint cette glace plus vieille de 1,2 million d’années. Et du coup, on est super heureux puisque la glace qu’on a récupérée, en effet, elle correspond à ce qui avait été prévu par les données en amont, par les radars.“
Les premières pages de l’Encyclopédie du climat de la Terre
L’intérêt de cette découverte est immense : remonter le temps de l’histoire du climat terrestre. La neige et la glace sont les décodeurs de notre histoire. “C’est-à-dire que la neige tombe sur le continent antarctique, elle s’accumule avec le temps et au bout d’un moment, la couche de neige est tellement épaisse qu’elle va se transformer en glace et elle va piéger des bulles d’air au moment de sa transformation“, explique Lisa Ardoin. “Et ces bulles d’air vous donnent un enregistrement direct de l’atmosphère du passé. C’est la seule archive qu’on a sur Terre qui permet d’avoir un accès direct à l’air d’il y a plus d’un million d’années. Au minimum, puisqu’on sait l’âge qu’on a pu déterminer sur le terrain, avec des analyses préliminaires qu’on a faites sur place.”
Le professeur Frank Pattyn travaille depuis 10 ans sur ce projet. Pour lui, c’est le Graal et il a eu peur de le manquer : “On a eu peur en fait, parce que récemment, il y a eu encore une publication qui a montré que, en fait, probablement, l’endroit où on était en train de forer n’était pas propice pour trouver la glace la plus ancienne. Donc c’était un peu de stress. Heureusement, les études qu’on a menées, entre autres aussi à l’ULB ont confirmé qu’on pouvait trouver de la glace la plus ancienne à cet endroit-là spécifique. Une fois que cette glace sera en Europe – et ça va prendre encore un peu de temps parce qu’on ne peut pas transporter toute cette glace en un coup, il y aura évidemment beaucoup d’analyses à faire.“
La paléoclimatologie a donc franchi un cap historique : “En fait, on peut remonter nettement plus loin dans le temps pour mieux comprendre comment les cycles climatiques se sont faits, notamment sur la période entre 1,2 million et 800.000 ans. Là, il y a une transition qui se fait entre des cycles glaciaires de 40.000 ans vers des cycles de 100.000 ans. Comprendre ces cycles glaciaires, c’est uniquement possible si on le fait avec une connaissance de l’air atmosphérique à cette époque-là. Et ça, c’est capté dans les bulles d’air qui sont emprisonnées dans la glace.“
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