Nouvelle mission en Antarctique : “Même de très loin, on peut potentiellement impacter l’Antarctique”

Le 12 décembre prochain, Sibylle Boxho, doctorante en géologie de l’Université Libre de Bruxelles, met le cap sur la station Princesse Élisabeth, en Antarctique. Elle restera sur place deux mois pour cette mission qui comporte deux volets : installer un nouveau site d’échantillonnage et collecter des échantillons de neige.

Mais pourquoi cette mission ? Quelles sont les spécificités de l’Antarctique pour qu’il y ait autant d’intérêt de la part des scientifiques ?

Déjà, tout simplement parce que c’est mal connu“, commence Sibylle Boxho, “on connaît encore mal l’Antarctique vu que c’est très difficile d’y accéder, et donc on est automatiquement un peu curieux de voir ce qui se passe là-bas. Mais c’est aussi un continent qui a été assez fort préservé de l’impact de l’être humain, et donc de la colonisation et autres. Et justement, avoir une terre un peu vierge à étudier et voir comment s’articulent vraiment les écosystèmes là-bas, c’est assez intéressant.”

Sur place, l’objectif de la chercheuse sera d’analyser la neige qui s’y trouve : ” Ce qui m’intéresse vraiment, ce sont les poussières de roche, c’est-à-dire tout simplement les poussières qui volent en Antarctique“, explique Sibylle Boxho. “Ces poussières vont m’aider, grâce à leur composition chimique, à pister d’où elles viennent. Est-ce qu’elles viennent uniquement d’Antarctique ? Est-ce qu’elles viennent vraiment des roches locales sur place ? Ou est-ce qu’elles viendraient justement d’ailleurs, de plus loin, par exemple d’Afrique, d’Amérique, d’Australie ou encore de Nouvelle-Zélande ? Toutes ces informations sont assez précieuses puisque si on sait que nos poussières viennent par exemple d’Afrique, elles ont dû arriver jusque-là. Et pour arriver jusque-là, elles ont dû se déplacer grâce aux masses d’air, aux vents, ce qu’on appelle les circulations atmosphériques”, ajoute-t-elle.

L’intérêt est donc, aussi, de connaître le fonctionnement des circulations atmosphériques : “Cette compréhension peut en effet aider à mieux comprendre les circulations des vents dominants. L’océan est un puits de CO2. Ce CO2 est notamment capté par les phytoplanctons, qui vivent notamment près de l’Antarctique, dans les océans vraiment australs, très rudes, avec des basses températures et très peu de lumière, et on veut savoir comment ils se débrouillent, comment ils vivent dans ces conditions. Les poussières qui arrivent là-bas permettent d’alimenter ces phytoplanctons. Et donc, comprendre comment ces poussières sont amenées là-bas pour les aider à survivre est assez intéressant, notamment pour comprendre comment ces puits de CO2 évoluent et se comportent.”

L’Antarctique moins blanc qu’avant

“Un autre exemple assez intéressant est celui de nos routes de bitume, tout noir, qui est très chaud en été”, poursuit Sibylle Boxho, “l’Antarctique, c’est l’effet complètement inverse, c’est tout blanc. La lumière qui arrive sur l’Antarctique est réfléchie très rapidement, c’est ce qu’on appelle l’albédo. Il n’y a donc pas de chaleur qui s’accumule sur place. Par contre, les circulateurs atmosphériques qui amènent des poussières en grande quantité ou pas — c’est ce qu’on étudie — obscurcissent justement légèrement cette neige, et elle est moins blanche. Si elle est moins blanche, elle réfléchit moins de lumière. Si elle réfléchit moins de lumière, elle permet à ce qu’il y ait plus de chaleur qui arrive à la surface. Et si plus de chaleur arrive, ça engendre dans un effet lointain potentiellement une accélération de la fonte de cette neige, de cette glace. Et cette accélération de fonte, c’est assez important pour nous de la comprendre, pour notamment les changements climatiques actuels.”

À ce constat de recherche, s’ajoute un autre phénomène, qui est en train d’être étudié par les spécialistes : ” Dans ces poussières, on étudie les minéraux, les roches naturelles. Mais ce que l’on peut aussi voir grâce aux analyses chimiques, ce sont de potentiels apports de l’être humain dans ces poussières. Donc, des poussières qui ne sont pas naturelles, qui ne viennent pas de roches, mais par exemple d’industries. Ces poussières, émises par l’homme sont potentiellement néfastes. C’est aussi simplement une trace que l’être humain arrive jusqu’à l’Antarctique, même s’il y est très peu durant l’année. Ces traces viennent parfois de très loin, et on ne se rend pas compte que même de très loin, on peut potentiellement impacter l’Antarctique.

Une préparation intense pour des conditions de vie “extrêmes”

La mission dans la station Princesse Élisabeth commencera ce 12 décembre et durera jusqu’en février prochain. Si en Belgique, c’est l’hiver, en Antarctique, c’est au contraire l’été : ” C’est un été qui reste très rude et très compliqué pour y vivre“, nuance Sibylle Boxho. “Mais c’est préférable d’aller sur place lorsque les températures sont plus clémentes, mais aussi quand on a de la lumière, tout simplement. On est des êtres humains, on a besoin de lumière. Vivre là-bas pendant l’hiver est faisable, certains le font, mais en tant que scientifiques, on préfère cette période estivale, en tout cas pour les analyses.”

La jeune femme de 25 ans s’est préparée sérieusement pour que cette mission soit un succès : “Je me réjouis vraiment d’aller là-bas et de pouvoir prendre part à cette expédition et à cette mission en Antarctique“, explique la chercheuse, “Je me suis bien préparée. J’ai minutieusement inspecté notre matériel scientifique, c’est-à-dire tout ce qui va nous servir là-bas, tous nos outils. On les vérifie et revérifie encore et encore, on les prépare bien en avance. Et c’est la même chose pour nos affaires personnelles. On vérifie ce dont on aura besoin sur place vu le climat, ce dont on aura besoin au quotidien puisqu’on va y rester un certain temps. Pour moi, la clé de la préparation a été de parler, de parler énormément aux personnes qui y sont déjà allées.”

  • 04 déc. 2023
  • Par Maïté Warland depuis une interview de Sophie Léonard
  • RTBF.be
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