Passage de Drake: pourquoi ce détroit est l’un des plus redoutés de la planète par les navigateurs
Redouté par les marins, le passage de Drake marque l’entrée dans les eaux parmi les plus hostiles de la planète. Entre tempêtes, légendes et expéditions, il est devenu un mythe.
Certains noms inspirent la peur. Le passage de Drake en fait partie. Situé entre le cap Horn et la péninsule Antarctique, ce bras de mer s’est imposé comme l’un des plus redoutés au monde. Mais que cache vraiment sa réputation ? Pourquoi cette zone alimente-t-elle autant de récits ? Benjamin Dy, biologiste et chef d’expédition pour la compagnie de croisières et d’expéditions Exploris, l’a franchi à de nombreuses reprises. Il nous raconte.
Une configuration unique au monde
Le passage de Drake est un bras de mer situé entre la pointe sud de l’Amérique du Sud – la Terre de Feu et les Andes – et la péninsule Antarctique, bordée au nord par la chaîne des montagnes transantarctiques.
Ce détroit marin long d’environ 1 000 km dans l’océan Austral concentre certaines des conditions marines les plus hostiles de la planète. Dans ces latitudes, entre 40° et 60° sud – appelées les Quarantièmes Rugissants et les Cinquantièmes Hurlants – les vents d’ouest dominants soufflent avec une intensité exceptionnelle. Mais ici, ils se heurtent à deux murs : les Andes au nord, les montagnes antarctiques au sud. “À ce niveau-là, on a vraiment deux grandes zones terrestres qui rentrent très profondément dans l’océan Austral. Les perturbations qui viennent de l’ouest se heurtent au système montagneux du nord et du sud”, explique Benjamin Dy.
Ce relief amplifie la formation de dépressions, qui se succèdent à vive allure. Le courant circumpolaire antarctique, le plus puissant au monde, traverse lui aussi ce goulot naturel. Il transporte environ 130 millions de mètres cubes d’eau par seconde, soit l’équivalent de plus de 500 fleuves Amazone, et il est canalisé ici dans un espace restreint. Cette configuration accentue la houle, les courants et l’instabilité de la mer.
Mais ce qui fait aussi la particularité u passage de Drake, c’est sa brièveté : “On a seulement deux jours de navigation à cet endroit, alors qu’ailleurs – entre l’Antarctique et l’Afrique du Sud ou l’Australie – il faut cinq jours”, souligne le biologiste. Cette courte distance est un atout logistique majeur : elle permet de rejoindre rapidement l’Antarctique depuis la terre habitée. Mais c’est aussi ce qui en fait une traversée redoutée. “Sur une route de cinq jours, les perturbations s’espacent, elles se répartissent dans le temps. Dans le Drake, tout est concentré : le vent, la mer, le froid.”
Même sans tempête, les eaux y sont rarement calmes. “L’océan bouge énormément, même en l’absence de phénomènes extrêmes, ajoute le chef d’expédition. Mais ce n’est pas plus que quand on va en Géorgie du Sud, par exemple. L’océan Austral, par définition, est un océan qui bouge.”
Parmi ses traversées les plus marquantes, Benjamin Dy garde en mémoire plusieurs épisodes particulièrement intenses. “J’ai fait une ou deux traversées avec huit mètres de creux et des vents de 60 à 80 nœuds (entre 110 et 150 km/h). L’océan devient un bouillon d’écume. Chaque vague est un mur, elle en croise une autre, et elle est décapitée par le vent. Il n’y a rien à faire, à part rester dans son lit et ne pas bouger. Ça choque à chaque fois. On a beau connaître ce passage, on ne s’y habitue pas. Il rappelle à chacun sa vulnérabilité.”
Une légende née de l’histoire des grandes expéditions
Si le passage de Drake occupe une place aussi importante dans l’imaginaire collectif, c’est parce qu’il fut, dès le XIXe siècle, le théâtre des premières grandes expéditions vers le continent blanc.
Le passage de Drake a reçu ce nom au XVIIIe siècle, bien après les faits, en hommage au navigateur anglais Francis Drake. En 1578, après avoir franchi le détroit de Magellan, une tempête dispersa sa flotte. L’un de ses navires fut déporté vers le sud, dans une zone alors inconnue. Ce déroutement permit de prouver que la Terre de Feu n’était pas reliée au continent austral, mais bordée par une mer. Francis Drake lui-même ne traversa pas ce passage, mais cet épisode marqua la première reconnaissance indirecte de son existence.
Certaines traversées sont également devenues légendaires. En 1916, après le naufrage de l’Endurance, Ernest Shackleton traversa le Drake dans un canot de fortune d’environ sept mètres, le James Caird, avec cinq hommes à bord. Ils affrontèrent pendant 16 jours une mer démontée pour atteindre la Géorgie du Sud : une des plus grandes prouesses de navigation de survie de l’histoire.
Le Drake a aussi été le théâtre de naufrages dramatiques. En 1819, le navire espagnol San Telmo sombra avec 644 hommes à bord. Certaines sources avancent que des survivants auraient pu atteindre les côtes antarctiques – hypothèse qui ferait d’eux les premiers humains à y avoir posé le pied. Officiellement, le premier homme à avoir débarqué sur le continent est l’Américain John Davis, chasseur de phoques, en février 1821.
Enfin, en 2007, le MS Explorer, navire d’expédition polaire, heurta un iceberg après avoir traversé le Drake. Il coula en quinze heures, mais l’évacuation des passagers fut un succès.
Aujourd’hui encore, le passage de Drake continue de rappeler qu’avant même de fouler la glace, l’Antarctique se mérite et se gagne.

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