L’Antarctique, bombe à retardement de la montée des eaux

L’Antarctique, bombe à retardement de la montée des eaux

 

L’Antarctique se dissout à vue d’œil. Au risque d’accélérer la montée des eaux partout sur le globe. Les scientifiques tentent d’éclaircir le mystère de cette fonte apocalyptique.

En mars 2022, un tweet a affolé les médias : les températures avaient dépassé de 30 °C les normales saisonnières. Étienne Kapikian, prévisionniste chez Météo-France, annonçait que les -11,5 °C observés à la base Concordia, installée sur le Dome C à plus de 3 000 mètres d’altitude, marquaient le « record absolu [de chaleur] tous mois confondus ». Catherine Ritz, directrice de recherches au Centre national de recherche scientifique, climatologue spécialiste des calottes glaciaires, est une habituée de cette base scientifique franco-italienne où elle a mené des missions durant plus de vingt ans. Elle n’y a jamais connu de températures supérieures à -18 °C. « Et encore, c’était au plus fort de l’été austral », se souvient-elle. Ces températures hors norme sont dues à une rivière atmosphérique, un phénomène de courants d’air très humide qui amènent de grandes vagues de chaleur. « Nous n’en avions pas connu de cette ampleur, ni aussi tôt dans l’année. »

Conséquences de ces chaleurs ? 90 % des réserves d’eau douce mondiales s’y trouvent, emprisonnées dans la glace… qui fond. « L’Antarctique est non seulement le témoin des changements climatiques mais aussi un acteur majeur de ces changements », plaide l’ambassadeur français pour les pôles Olivier Poivre d’Arvor. « Le vêlage [la rupture] des glaciers s’intensifie… Or avec seulement 1,5 à 2 mètres d’élévation du niveau des eaux, nous allons vivre quelque chose de dramatique puisqu’un milliard d’êtres humains devront être déplacés. » Catherine Ritz abonde : « L’Antarctique est la principale clef d’incertitude concernant la future montée du niveau des mers. Son comportement à l’avenir sera capital ». Difficile de se projeter : « Les calottes glaciaires ne bougent pas très vite et nous disposons de quarante années d’observation par satellite seulement. Cela dépendra beaucoup de ce qui se passe à l’interface entre le socle rocheux et la glace. Or, cela se trouve à 2 000 mètres sous la glace, où l’on dispose de peu de moyens d’observation. »

Réchauffement, gravité, courants… Pourquoi les glaciers s’effondrent-ils et avec quelles conséquences ? Quelles sont les effets du changement climatique sur une masse de glace aussi énorme ?

« Les glaciers s’écoulent vers la mer comme du miel qui se renverse »

Le continent est semblable à un vacherin recouvert de glace qui subit naturellement les variations du climat planétaire. Le vêlage des calottes advient sous l’effet combiné, selon les endroits, de la gravité, du réchauffement de l’atmosphère et de celui des eaux environnantes. À l’est de ce continent, la glace est beaucoup plus épaisse, elle culmine sur un plateau rocheux. À l’ouest, au contraire, la couche glacée est moins épaisse et surtout son socle est en majorité en dessous du niveau des mers. Dans les deux cas, le déversement de la totalité de la glace dans l’océan austral serait catastrophique. « Posée sur le socle rocheux du continent, cette masse dense et pesante (la pression équivaut à 185 fois la pression atmosphérique au sol) s’écoule tout doucement vers le bord du continent et la mer sous l’effet de son propre poids. Un peu comme le miel solide d’un pot renversé sur une table », selon les termes de Nicolas Jourdain dans le magazine Pour la science. Il arrive donc qu’un glacier avance de l’ordre de 4 kilomètres par an. « Ce qui est énorme, prévient la climatologue Catherine Ritz. Certes, ce n’est pas aussi rapide qu’une rivière mais c’est une rivière gelée. »

Ainsi, l’Antarctique semble moins menacé par l’exploitation de ses ressources que par la disparition de sa calotte glaciaire. D’après le rapport spécial du Giec consacré à la cryosphère, au cours de la période 2006–2015, la perte moyenne de masse de la calotte de l’Antarctique s’est établie à 155 gigatonnes par an (à 19 gigatonnes près) — surtout due au recul rapide des grands glaciers de l’Antarctique de l’Ouest.

Le glacier de l’apocalypse 

Un glacier en particulier fait l’objet de toutes les attentions. Avec 600 kilomètres de long, 20 kilomètres de large et 3 000 mètres d’épaisseur, le glacier Thwaites, aussi grand que le département de la Gironde, est échoué le long de la mer d’Amundsen. S’il venait à s’effondrer et à fondre dans son intégralité, les océans s’élèveraient d’environ 65 centimètres ! Voilà pourquoi il a été rebaptisé le glacier de l’apocalypse par les scientifiques. Catherine Ritz explique que sa partie flottante, qui le maintient sur le continent, s’est considérablement amincie ces dernières années. « Des courants d’eaux chaudes viennent lécher le glacier jusqu’à sa ligne d’échouage [1], décrit la climatologue. Sa partie flottante se crevasse de plus en plus, elle peut s’éclater en plusieurs morceaux dans les cinq prochaines années. »

Et comme ce glacier est relié à d’autres plateformes de glace qu’il maintient en équilibre, il sert de « bouchon » à tout un ensemble. Car le destin d’un glacier dépend aussi de la température des eaux. Si l’eau dans laquelle il plonge est fraîche, la glace qui se détache flotte sur plusieurs dizaines, voire centaines de kilomètres, jusqu’à rencontrer des baies rocheuses ou des îles. En revanche, plus les eaux se réchauffent, plus elles s’infiltrent, rongent la glace et conduisent à son éclatement… qui favorisera sa fonte.

Il pourrait se briser d’ici cinq ans

Les océans qui entourent l’Antarctique agissent comme un climatiseur géant pour ce bout de terre grand comme trente fois la France. L’océan Austral fait le tour du globe sans que ses eaux ou les vents qui le balaient soient stoppés par des terres. « Les vagues, les vents, la houle brassent l’océan. Le continent est comme dans un bain-marie très frais », explique Gerhard Krinner, chercheur du CNRS à l’IGE. Voilà pourquoi le changement climatique observé est plus faible en Antarctique qu’ailleurs. « Les augmentations de températures observées sont plus fortes en Arctique, sur les régions continentales et plus faibles dans l’hémisphère sud, donc dans l’océan Austral. »

Par ailleurs, à quelques centaines de mètres de profondeur, se trouvent des eaux dites « circumpolaires profondes », plus chaudes que les eaux de surface de quelques degrés. Elles restent généralement en profondeur car elles sont plus salées et ne se mélangent guère. « Quand le régime des vents de surface se modifie, les eaux chaudes remontent vers la surface, jusqu’au voisinage des calottes flottantes », prévient Krinner. Ces eaux accélèrent alors leur fonte. Comme cette eau de fonte est moins dense que l’eau salée, elle remonte le long de la plateforme de glace immergée formant alors des courants d’eau plus chaude sur des centaines de mètres. « Cela créé des courants assez forts vers le haut, donc un brassage qui accélère la fonte tout comme votre glaçon fond plus vite si vous touillez votre verre. Cette circulation ayant tendance à ramener encore plus d’eau chaude vers la glace, tout cela est auto-amplificateur », explique Nicolas Jourdain dans Pour la science.

« Attendons-nous à une augmentation du niveau des eaux de 80 cm en 2100 »

Ces glaciers qui rompent deviennent de gros glaçons prêts à fondre dans l’immensité océane. La contribution potentielle de l’Antarctique à la montée du niveau des mers est un mystère variant de 5 à 69 mètres ! « En se basant sur la trajectoire des émissions de CO2 actuelles, nous pourrions nous attendre à une augmentation du niveau des eaux d’environ 80 centimètres en 2100 (et de +3 °C). Et si les mécanismes d’instabilité des glaciers s’intensifient, s’ils se mettent en route un peu partout en Antarctique, à l’est comme à l’ouest, on ne peut pas exclure une augmentation du niveau de la mer de 15 mètres en 2300 », explique Gerhard Krinner, chercheur du CNRS à l’IGE.
Comme le signalent les experts du Giec, tout va plus vite et plus intensément que prévu : « L’élévation du niveau de la mer a accéléré en raison de l’augmentation de la perte combinée de glace des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique. La perte de masse de l’Antarctique a triplé sur la période 2007–2016 par rapport à la période 1997–2006. »

 

Détails

Statut de publication :
Planète & Environnement

Auteur(e):
Par Laure Noualhat

Date:
Publié le 15 décembre 2022

Journal/Source:
Reporterre, le média de l’écologie / www.reporterre.net

 

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