Un épisode exceptionnel » : pourquoi la banquise antarctique peine à se reformer, en plein hiver austral

Depuis le début de l’hiver austral, la banquise antarctique peine à se reformer : en juillet, elle a atteint sa plus petite surface depuis le début des observations satellites. Un phénomène inquiétant avec de graves conséquences à l’échelle de la planète.

Mardi 8 août, alors qu’il annonçait le mois de juillet 2023 comme le plus chaud jamais enregistré sur Terre, le service européen Copernicus pointait du doigt un autre record : la banquise de l’Antarctique a atteint sa plus faible étendue pour un mois de juillet depuis le début des observations par satellite, à 15 % sous la moyenne pour ce mois. Un phénomène dont les conséquences potentielles sur le réchauffement et la montée du niveau des mers inquiètent.

Déjà en février, la glace de mer antarctique – qui se forme par congélation de l’eau salée de l’océan – avait atteint lors de l’été austral sa plus faible étendue depuis le début des relevés par satellite, dans les années 1970, atteignant un pic minimum de 1,79 million de kilomètres carrés.

Si l’été austral est la période annuelle de fonte de la banquise, l’hiver permet habituellement à la glace de se reformer. Or elle peine à le faire cette année : en juillet, selon le Centre national américain de Données sur la Neige et la Glace, la surface de la banquise antarctique s’étendait sur 13,49 millions de kilomètres carrés. C’est 1,5 million de kilomètres carrés (l’équivalent de trois fois la France métropolitaine) de moins que le précédent record, qui datait lui de… juillet 2022.

« L’étendue de la banquise antarctique n’a pas beaucoup évolué depuis les années 1970, elle était même en légère augmentation, jusqu’à 2014-2015, explique Nicolas Jourdain, chercheur au CNRS à l’Institut des Géosciences de l’Environnement à Grenoble. A partir de là, des records bas ont été régulièrement battus. »

Surchauffe des océans et changement des vents

Le passage de l’année 2022 puis les records de 2023 ont de quoi inquiéter les scientifiques, qui ont longtemps lutté pour comprendre l’impact du changement climatique sur l’Antarctique. « C’est un épisode exceptionnel, d’autant plus que c’est un record assez marqué », souligne Nicolas Jourdain.

Pour l’heure, explique le chercheur, on manque encore de recul pour expliquer de façon certaine les raisons derrière ce record de faible étendue. Différents facteurs pourraient être en jeu, notamment la surchauffe des océans, soulignée le 8 août par Copernicus : ils ont atteint des températures de surface anormalement élevées depuis avril et des niveaux inédits en juillet. Un record absolu a été ainsi atteint le 30 juillet avec 20,96 °C et, pour l’ensemble du mois de juillet, la température de surface a été 0,51 °C au-dessus de la moyenne de la période 1991-2020.

Nicolas Jourdain évoque par ailleurs l’impact des changements du vent : « Le réchauffement climatique a pour manifestation un changement notable des vents au-dessus de l’océan Austral, détaille-t-il. Ceci a un fort impact sur le déplacement de la banquise et sur les courants océaniques et donc la température de l’océan, qui peuvent avoir des conséquences importantes pour l’évolution de la glace de mer. »

« Ces phénomènes vont se poursuivre »

La diminution de la surface de la banquise antarctique pourra avoir des impacts importants pour la planète, même si tous ne seront pas observables immédiatement. Nicolas Jourdain cite notamment les effets sur la circulation des océans et les eaux profondes. « La glace de mer ne peut pas contenir autant de sel que l’océan, explique-t-il. Quand la glace se forme, elle va rejeter de l’eau salée, plus dense, sur la surface de l’océan et celle-ci, plus lourde, va donc plonger vers le fond. C’est un échange direct qui permet de refroidir l’eau en profondeur. Sans la formation de la banquise, cela peut être un problème pour les eaux froides qui entourent actuellement la calotte Antarctique. »

Ces records posent également des risques pour la calotte glaciaire, c’est-à-dire la glace continentale, formée par la lente accumulation et le tassement de neige pendant des milliers d’années : « Cette glace connaît habituellement très peu de fonte et s’écoule doucement vers le bord du continent sous l’effet de son propre poids. Si l’eau de mer n’est pas trop chaude, la glace flotte et forme ce qu’on appelle des plateformes de glace [un prolongement pouvait attendre des dizaines, voire des centaines de kilomètres, NDLR]. Mais si l’écoulement de glace vers l’océan augmente, on fait face au risque d’une montée [du niveau des eaux]. »

Autant de phénomènes qui posent le risque d’un cercle vicieux. Car si la banquise s’étend moins en hiver, elle pourra fondre plus vite en été, ce qui pourrait accélérer le réchauffement de l’atmosphère et des océans, ces derniers absorbant les rayons du soleil là où la glace les réfléchit. A cela s’ajoutent également les effets sur la faune et la flore, puisque la banquise de mer joue un rôle de refuge et d’habitat pour de nombreuses espèces, souligne aussi le chercheur.

La glace se reformera-t-elle comme auparavant l’année prochaine ? Un nouveau cycle s’ouvre-t-il en Antarctique ? « On ne peut pas encore le dire, il y a toujours la variabilité naturelle du climat, répond Nicolas Jourdain. On ne peut pas exclure une remontée de la couverture de glace de mer. Mais ce que l’on sait avec les modèles numériques sur le long terme, c’est que si les activités humaines continuent de réchauffer le climat, ces phénomènes vont se poursuivre. »

  • Par Marie Fiachetti ·
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