Les lacs sous-glaciaires de l’Antarctique, une fenêtre sur la vie extraterrestre

Des chercheurs de l’Université du Québec à Rimouski cherchent à comprendre l’environnement dans lequel ont évolué les premières formes de vie sur Terre et qui pourrait favoriser l’apparition de la vie ailleurs dans l’espace. Leur terrain de jeu : un lac enfoui dans les profondeurs de la glace sur le sixième continent.

Daniel Fillion se sent comme un astronaute. Et il y a de quoi. Le candidat au doctorat en océanographie à l’UQAR se prépare pour une expédition au cœur de la région la plus hostile et isolée de la planète : l’Antarctique.

Depuis la ville sud-africaine de Cape Town, il devra parcourir les 4000 kilomètres le séparant de la calotte polaire, avant de s’enfoncer, en motoneige, au cœur de la banquise. Sa destination est le lac Untersee, un lac enfoui sous environ cinq mètres de glace et coupé de l’atmosphère depuis plusieurs milliers d’années.

C’est une fenêtre sur comment était la Terre à cette époque-là, explique Daniel Fillion dans les espaces de l’Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER). Malgré les conditions hostiles et extrêmes, il y a de la vie, il y a des microorganismes qui réussissent à se développer, à prospérer.

Donc, de comprendre comment ils font, quelles sortes de réactions métaboliques sont en jeu, comment la chimie fonctionne, ça nous permet ensuite de dresser des analogies avec des lunes glacées dans le système solaire – on pense aux lunes à Europe, lune de Jupiter, ou Encelade, lune de Saturne. Elles ont des océans sous des couches de glace qui ressemblent un peu à celui du lac Untersee, explique le candidat au doctorat avec passion. Donc, on est capable après ça de faire des parallèles, et aussi de voir si on ne peut pas améliorer nos connaissances sur comment la vie sur Terre a émergé, s’est développée et a réussi à s’adapter.

Des analogues planétaires

Le lac Untersee est l’un des centaines de lacs sous-glaciaires dispersés sous l’Inlandsis. À près de 4000 mètres sous la surface de la glace, le lac Vostok est probablement le plus célèbre d’entre eux. L’eau de ces lacs reste liquide grâce au réchauffement géothermique provenant des profondeurs magmatiques. Situés sous d’épaisses couches de glace, ces lacs sont souvent plongés dans le noir et ils sont très pauvres en oxygène et en nutriments. Ils sont considérés comme des analogues planétaires puisqu’ils partagent les conditions extrêmes qu’on pourrait retrouver sur d’autres corps célestes.

Le lac Untersee, étudié depuis plusieurs années, se démarque toutefois des autres pour ses conditions particulières. Il s’agit d’un lac où la concentration de méthane est extrêmement élevée – il s’agit donc d’un microcosme pouvant donner une idée des conditions dans les possibles mers de méthane liquide que semble héberger Titan, le satellite naturel de Saturne.

Il s’agit aussi d’un lac où certains processus biogéochimiques sont mal compris, explique André Pellerin, professeur en océanographie géologique à l’ISMER.

Joint par connexion satellite alors qu’il réalise des études sur le pergélisol dans les Territoires du Nord-Ouest, le chercheur a participé à une expédition au lac Untersee l’an dernier. C’est lui qui supervise les travaux de Daniel Fillion.

On essaie de comprendre comment est-ce que les bactéries vont faire pour pouvoir utiliser l’oxygène avec les différents produits qui sont dans le fond du lac, illustre-t-il, en ajoutant qu’une partie des efforts de l’équipe consistera à décortiquer les cycles de l’azote et du soufre dans la colonne d’eau.

Au cours de son cycle, par exemple, l’azote se transforme sous différentes formes comme le nitrate, le nitrite, l’ammoniac ou l’azote organique. Ces cycles biogéochimiques apportent certains éléments essentiels, et jouent un rôle dans les processus chimiques et biologiques – en bref, dans la perpétuation de la vie.

Pendant environ deux mois, Daniel Fillion campera sur la calotte glacée du lac Untersee avec d’autres chercheurs. Au cours de cette période, l’équipe réalisera des forages dans la glace pour envoyer des sondes mesurer différents paramètres, comme le pH et la température, dans la colonne d’eau. L’étudiant récoltera aussi toute une gamme d’échantillons qui seront ensuite acheminés à Rimouski.

C’est l’une de mes parties préférées, d’essayer de résoudre ce casse-tête, de comprendre tous les processus qui peuvent survenir, commente Daniel Fillion.

Je me sens un peu comme un astronaute qu’on prépare pour une mission spatiale.Une citation de Daniel Fillion, candidat au doctorat en océanographie à l’UQAR

On les envoie quelque part super éloigné, on regarde comment ils s’adaptent, puis comment ils réussissent à travailler avec peu de ressources, avec une communication qui peut être difficile. Sauf que moi, on va me mettre dans un laboratoire avec du travail, au lieu [d’aller] sur la Lune, poursuit-il en souriant.

Le candidat au doctorat devrait se rendre en Antarctique au mois d’octobre. Il rapportera dans ses bagages de précieux échantillons d’eau; autant d’indices pour résoudre les mystères de l’émergence de la vie sur Terre ou pour mieux traquer de potentielles formes de vie dans l’espace.

  • Miriane Demers-Lemay
  • Publié 12 Aout 2023
  • Radio-Canada
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